Diversité des démarches

ENTREE THEMATIQUE - DIVERSITE DES DEMARCHES

Références bibliographiques Pour aller plus loin

Le « champ » de la recherche-action

Par Yves Bonny, maître de conférence à l'Université de Rennes

La spécificité de la recherche-action réside dans la visée de relier production de connaissances à propos d'une réalité donnée en lien avec des enjeux pratiques et production de transformations relatives à ces enjeux. Pour autant, la notion de recherche-action est extrêmement floue et vague. En effet, articuler recherche et action peut se faire de mille façons, dans la mesure où le sens que l'on donne à ces deux termes est éminemment variable. Or cela génère des différences majeures quant à la manière de penser la finalité de la recherche-action, sa dynamique, ainsi que les identités et les rôles des différents acteurs impliqués. Il importe pour tenter de s'y retrouver de mettre en relief quelques critères-clés de différenciation.


Repérer les contextes d'usages de la recherche-action

Il convient de repérer les contextes d'usage dans lesquels s'inscrit la recherche-action. Selon que l'on se situe dans un contexte de développement personnel, dans un contexte professionnel librement investi, dans un contexte d'intervention commanditée dans une organisation ou encore dans un contexte militant, il est évident que les attentes et la manière dont va être pensé et conduit le processus ne seront pas du tout les mêmes.

En lien avec le contexte d'usage, un autre élément essentiel concerne l'ampleur et l'esprit de l'action engagée ou envisagée. On peut situer l'ensemble des recherches-actions entre les deux extrêmes que sont la logique utilitariste de la résolution d'un problème circonscrit et une philosophie de l'émancipation par la transformation sociale, la recherche étant ici étroitement associée à la conscientisation et à la mobilisation des acteurs pour modifier des rapports sociaux jugés opprimants.

Quant à la manière de penser la recherche, la recherche-action implique nécessairement de se mettre en recherche à propos d'enjeux pratiques, mais pas forcément de faire de la recherche, au sens académique de l'expression. Dans tous les cas sera élaborée une méthodologie de la recherche, visant à générer des connaissances jugées valides, parce qu'établies avec un certain degré de rigueur et de systématicité. Mais selon l'esprit dans lequel est pensée la recherche-action, l'autorité légitime chargée de valider la démarche variera en profondeur.

Articuler des communautés distinctes ou constituer un acteur-chercheur collectif ?

On peut à cet égard établir une ligne de partage majeure entre les configurations où l'on considère essentiel de se référer aux canons de scientificité en vigueur et de s'appuyer sur les chercheur-e-s professionnel-le-s maîtrisant la démarche de recherche académique et celles où ce n'est pas central, voire où cela est activement combattu, car assimilé à un rapport de domination et à une dépossession. Dans le premier cas (que l'on désigne en général par les expressions « recherche collaborative » ou « recherche-intervention »), une distinction nette est établie entre « communauté de recherche » et « communauté de pratique », les chercheur-e-s professionnel-le-s étant positionné-e-s comme les principaux garants de la validité de la démarche de recherche en tant que savant-e-s et expert-e-s. Est ainsi instituée une articulation qui se veut féconde – mais peut aussi générer des malentendus et des tensions – entre les attendus de la démarche scientifique et les enjeux pratiques identifiés par les partenaires des chercheur-e-s.

À l'autre extrême se situent des groupes d'acteurs/trices qui se constituent en acteur-e—chercheur-e collectif, sur des bases autonomes ou avec l'appui de facilitateur/trice-s extérieur-e-s, pour relier vécu, action et pensée, au plus près de leur expérience sociale. On parle souvent à ce propos de « recherche-action participative » ou de « recherche-action émancipatrice ». La recherche et la production de savoirs sont alors associées en priorité à une idée d'émancipation, ou à tout le moins de développement du pouvoir d'agir, à travers la capacité de chacun à réfléchir sur sa vie et son expérience, à élaborer des savoirs propres et à engager sur ces bases une dynamique de transformation sociale.

La plupart des recherches-actions se situent quelque part entre ces deux pôles et relèvent de la collaboration active entre des chercheur-e-s, des consultant-e-s ou des animateurs/trices professionnel-le-s et des praticien-ne-s dans une problématisation et une investigation conjointes. En fonction de l'importance accordée au référentiel scientifique, on parle plutôt de « recherche-action collaborative » ou de « recherche-action coopérative » et les praticien-ne-s sont considérés ou non comme co-chercheur-e-s.

Des démarches diverses, à l'esprit parfois opposé

Ces différences d'orientations se manifestent à tous les niveaux : dans la manière de penser les identités, rôles et contributions des acteurs en présence, leurs savoirs respectifs, les modalités d'animation, d'enquête et d'analyse, les espaces-temps de confrontation des perspectives ou de mise en débat, la validation des connaissances produites, les prises de décisions relatives tant à la recherche qu'à l'action.

Au bout du compte, on est confronté à une variété indéfinie de configurations. C'est la raison pour laquelle il convient d'associer à l'expression recherche-action non pas une démarche précise, mais un ensemble de démarches par ailleurs très diverses et d'esprit parfois opposé. L'enjeu est alors double : situer celles auxquelles on est confronté au regard des critères de différenciation présentés ci-dessus ; et être au clair quant aux orientations que l'on privilégie et à leurs modalités concrètes de traduction s'agissant des démarches dans lesquelles on est impliqué.

Pour aller plus loin

Audoux, C., & Gillet, A. (2011). Recherche partenariale et co-construction de savoirs entre chercheurs et acteurs : l'épreuve de la traduction. Revue interventions économiques, 43. https://journals.openedition.org/interventionseconomiques/1347

Bonny, Y. (2013). La recherche-action et la question de l'institution.  https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01638846

Bonny, Y. (2015). Les recherches partenariales participatives : Ce que chercher veut dire. In Lyet, P. (et alii).  Les recherches-actions collaboratives: Une révolution silencieuse de la connaissance. Paris : les chercheurs ignorants. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01639014/document

Bourassa, B. & Boudjaou, M. (sous la dir.) (2013). Des recherches collaboratives en sciences humaines et sociales. Enjeux, modalités et limites. Québec : Presses de l'Université Laval. http://www.crievat.fse.ulaval.ca/fichiers/site_crievat/documents/Equipe_FQRSC/Bourassa_et_Boudjaoui_2012_-_Resume_et_table_des_matieres.pdf

Desgagné, S. (1997). Le concept de recherche collaborative : l'idée d'un rapprochement entre chercheurs universitaires et praticiens enseignants. Revue des sciences de l'éducation, 2, n° 23, p.371-393. https://www.erudit.org/en/journals/rse/1997-v23-n2-rse1842/031921ar.pdf

Desgagné, S., Bednarz, N., Lebuis, P., Poirier, L., & Couture, C. (2001). L'approche collaborative de recherche en éducation: un rapport nouveau à établir entre recherche et formation. Revue des sciences de l'éducation, 1, n° 27, p.33-64. https://www.erudit.org/en/journals/rse/2001-v27-n1-rse369/000305ar.pdf

Gillet, A. & Tremblay, D-G (sous la dir.). (2017). Les recherches partenariales et collaboratives. Québec : Presses de l'Université du Québec. https://books.google.ch/books?isbn=2760546039 


 


 


 

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